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Pascal Marmet " Si tu savais.."
1 novembre 2010

le premier chapitre "extrait de Si tu savais"

1 – Une chance à la dérive

Marc heurte trois fois son front contre la vitre. Le TGV Atlantique glisse, les visages défilent, la gare s’éloigne, les maisons passent, s’espacent, disparaissent. Exit Paris, port d’attache, qui n’est plus le centre de sa vie. Il n’y reviendra plus, puisqu’il vient de vendre son restaurant. Jusqu’à la dernière seconde, il a hésité à signer la cession de bail chez ce notaire de la place Saint-Michel. Jusqu’à la dernière seconde, main suspendue au dessus du papier, personne pour appuyer. Minutes en apesanteur, regards en attente. Son poignet a effleuré l’acte et la pointe noire a paraphé. Pourquoi a-t-il vendu ? Ce restaurant, près du Pont-Neuf l’avait lancé. Propulsé. Alors pourquoi ? Coup de tête. Comme d’habitude, pour prendre un risque. Avec la conviction d’être vent debout, les orteils agrippés au bord de la falaise. Soudain, une certitude surgit : cette signature le sépare de ses fugues entre Paris et Biarritz. Cette évidence lui avait échappé. Il aimait cette vie de commis voyageur. Éviter de se fixer. Qu’a-t-il fait ? Il lui faudra, à présent, se confiner en un lieu. En l’occurrence, son nouveau restaurant à Biarritz. Pas de quoi satisfaire ses envies d’errance.

Tout avait commencé pour Marc Lettellier dans une belle villa d’architecte. Son père au barreau, comme son grand père, sa mère au piano, en concerts incessants à travers l’Europe. Une nurse alsacienne pour dorloter ce fils unique, à la bouille craquante, qui vouvoyait ses parents trop absents. Au cours de son enfance traversée de mélancolie, il ne vivait que pour le plaisir, en ignorant le devoir. Pêle-mêle, il collectionnait tout. Les langues étrangères de ses voyages et une technique acceptable au piano, enseignée par une mère impatiente.

Sa jeunesse demeurait un rêve permanent. Seule sa cousine Léonie affaiblissait chaque été son goût pour le repli et les dérives de la lecture : elle le rendait moins sauvage.

Son adolescence avait été curieuse et désinvolte, à l’écart des turpitudes, à l’abri des émotions fortes. Marc avait pris très tôt conscience de la chance insolente qui l’attendait à tous les coins de rue. Il aimait résumer en comptant sur ses doigts : des parents agréablement distants, une cousine Léonie, qui semait des graines de bonheur chaque été, d’heureuses rencontres féminines, des études poursuivies sur un rythme nonchalant pour aboutir à une licence de lettres. Il avait touché à tout en dilettante et ce qu’il avait effleuré s’était transformé en or.

Marc ne restait pas les poings dans les poches. Malgré la chance accrochée à ses talons, vivant un grand bonheur porté comme un grand malheur, il avait envie de crier au secours, de hurler son besoin d’amour pour affronter l’océan d’ennuis qui inondait sa vie et alourdissait ses pas. Quand rien ne manque, tout est fardeau. Parfois l’aubaine cache la déveine. Il avait compris que cette chance constituait une munition reçue à la naissance. Pour parvenir à en tirer le meilleur parti, il devait la transformer en arme de précision.

La rêverie de Marc s’interrompt : un message le rappelle dans son carré famille par un bip lent, rythmé High Tech. Réponse de Guy le directeur de son restaurant : « Loup trop cher. Hors saison de pêche. »

- Marc répond : « Hors saison ? Débrouillez –vous ! »  Il se retient d’ajouter « espèce d’abruti.  « 

Le train trace sa voie dans la campagne croisant d’autres convois avec un bruit de tôle qui se frôle. Soudain, deux jeunes filles s’invitent avec de grands sourires. Manquait plus que ça. L’ennui et la colère montent en lui :

—Ah ! Non, c’est occupé, vous voyez bien !

—Mais monsieur, s’il vous plaît, le train est bondé. On peut se mettre là ?

Marc s’est répandu sur les autres sièges : portable, papier, attaché-case, jambes allongées devant lui, il avait l’intention de travailler à sa comptabilité, si la tristesse ne l’avait pas submergé. Il ne désirait personne dans son univers clos. Il n’aime pas la compagnie, surtout celle d’inconnues. Pas même s’il s’agit de jouvencelles. Malgré le regard qu’il leur jette, noir à faire fuir un ange, il ne les voit pas. Sans se laisser impressionner, elles tentent leur chance, ajustent leur charme, adoucissent leur regard pour attendrir ce bel homme avec ses cheveux bruns en arrière, son élégance et ses dents blanches.

—Vous êtes vraiment sûr ? Vous êtes seul, là ! On ne prendra pas beaucoup de place. Allez, soyez sympa. Moi je m’appelle Lili et ma copine...

—Désolé, sortez ! J’ai loué le compartiment. Et maintenant du vent ! J’ai besoin de travailler, s’il vous plaît.

Elles se regardent, étonnées que leurs rondeurs ne l’émerveillent pas, que leur jeunesse n’attire pas ce beau mâle. Marc se lève, une arbalète tendue, les chasse d’un geste vif de la main. Sortie des filles. Rayés, les visages. Ignorés, les corps. Il ne voit plus les femmes : elles ne l’intéressent pas. Zéro intérêt. Aucun éblouissement à attendre de ce côté là. Il a été marié, pourtant. Son ex-femme était venue à lui comme elle allait vers les autres, avec une fringale de contacts, de relations nouvelles. Cela n’avait pas duré. En désaccord sur tous les plans, le couple s’était empoisonné avant de se désagréger parmi le silence de l’indifférence qui démolit. Sans enfant, rupture et divorce n’avaient été que trop faciles. Son ex n’avait été ni exigeante, ni capricieuse. A se demander pourquoi ils s’étaient mariés. Il n’a plus rien tenté par la suite. Rien cherché. Aucun intérêt pour une relation, pas même dans le sexe. Depuis combien de temps n’a –t-il pas eu une aventure ? A trente-huit ans, il s’était émancipé des femmes, de leurs balivernes comme il aimait le répéter à sa cousine Léonie. Pas de survie sans créativité. Libre de s’adonner à la peinture,à la musique, à ces envies d’écriture et de manuscrits avortés.

 Il se secoue, passe ses doigts dans les cheveux. Il n’a pas l’habitude de regarder ce qui n’est plus. Il n’aime que les lendemains et l’inconnu qui entraînent de nouveaux défis. Surtout pas de pantoufles. Rester dans l’entre-deux, seule forme acceptable de la jeunesse éternelle. Alors, pour le restaurant de Paris, tant pis, il trouvera d’autres raisons de fuguer.

Le TGV ralentit sa course. Retour à Biarritz, souci avec le directeur du restaurant. Il y sera vers vingt et une heures. Trop tard s’il y a eu un pépin. Assez tôt pour assurer. Il envoie un texto : « Pas de problème ? Tout est prêt Guy ? «  Silence du directeur. Contrairement à ses habitudes, il appelle. Messagerie. « Laissez votre message après le bip ». Marc ne parle pas aux machines.. Impuissance. Attendre d’arriver et se précipiter sur place ? Virer cet incapable ? Trouver quelqu’un d’autre ? Marc aime les défis, non les obstacles. En poussant la porte de son restaurant, il serre les dents en apercevant le directeur qui fonce sur lui en criant :

- Trouvez-vous un autre pigeon ! Je ne digère plus vos textos ! Jamais vu ça un mec qui ne communique qu’en textos ! Moi, je suis normal. Je parle avec ma bouche et je téléphone au besoin.

D’un geste théâtral, Guy jette sur la table de l’office le registre des réservations. Il a parlé en gesticulant, tranchant l’air avec le gros cahier qu’il tenait à bout de bras. Tout son corps participe, au risque de briser des objets. Il est vulgaire, incompétent, vaniteux. Marc n’aura aucune difficulté à lui trouver un remplaçant. Il est resté muet durant la diatribe de son ex directeur. Heureusement qu’autour de Guy, l'équipe assure. Le chef, placide, ne s’occupe pas des querelles. Il concocte, mitonne, touille, goûte, donne les ordres et envoie. Une soirée ordinaire. Les clients affluent et durant le service, Marc note des détails inquiétants comme une bouteille de vin, débouchée à l’office et non à la table des clients par un sommelier qui s’est fait attendre plus de cinq minutes après le choix. Les serveuses se font prier et ne sont pas assez empressées.

Le lendemain, Marc court sur la plage. Bonne forme et bonne fortune vont de pair. L’air tiède le caresse. Vider son corps de ses toxines,sa tête de ses questions par une heure, les pieds dans le sable. Visage hâlé et luisant de sueur. Douche très chaude puis très froide, un café qu’il prend debout face à la baie de son salon : vue sur l’ océan, le Rocher de la Vierge, et la plage qu’il vient de fouler. Un instant de paix, une solitude bienfaisante. La journée peut commencer. Marc décide de prendre la direction du restaurant ; un nouveau défi.

A midi, le personnel de salle s’est rassemblé autour de Marc qui énumère les manquements observés la veille. Aucun ne pipe mot. Les regards se perdent sur le sol. Entretien privé avec le chef. Marc aimerait que la présentation des plats soit raffinée, il exige plus d’originalité, un effort, de la créativité. Le chef s’est déjà rendu au marché pour les produits frais choisis auprès des producteurs locaux. Il lui manque des produits de base. Marc lui promet qu’il s’en chargera. Pourtant Il n’aime pas la foule, ni les gens qu’il côtoie. Des femmes encombrées de cabas et de paniers pleins, bousculade ; de petits enfants tenus à la main, perdus parmi une forêt de jambes, de poussettes, de chariots. Pas de directeur, pas de paix, malgré les voix qui s’entremêlent, se croisent en cris et en appels, les parfums ail et fraise, poisson et fromage. Une ambiance, une atmosphère multicolore qu’il découvre. C’est étourdissant, mais il enregistre et transforme en mots, en couleurs et en notes de musique ce qu’il saisit, écoute, respire. En revenant vers sa voiture, il avise non loin de là une supérette, le Caddie Market.

 

 

 

 

 



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